Une petite souris vendait des fleurs.
"Fi, dit le lion, des fleurs? Quelle frivolité!

       Il nous faut des arbres, des grands, des forts,
       De ceux qui portent haut la gloire de ma Majesté !"
       " Mais, dit la souris, ils sont trop lourds
       Pour mes petites pattes et pour ma comptabilité,
       Si je devais, pour vous plaire, avoir cèdres d'amour,
       Chênes de Bourgogne, sycomores et mimosas d'été,
       Bientôt, je succomberai sous trop de charges."
       " Point d'arbres, alors point de fleurs, tonna le roi,
       Aucun de mes sujets, de mes ordres, ne doit être à la marge,
       Celui qui déroge sera montré du doigt."
       Les oies et les canards de la basse-cour s'étonnèrent :
       " Mais, Sire, vous nous disiez tantôt, que pour la richesse
       Du royaume, le rayonnement de votre ville sur Terre,
       Nous devions, sans faute, acquérir en ce lieu, pains, foyesses,
       Gateaux, gazettes, médications et autres nécessaires. "
       " Certes, mais pour tulipes, lys et muguets, n'allez point là.
       Nul ne doit me contredire, mon bon plaisir seul compte.
       Et s'il me fallait des fleurs, à mille lieux d'ici, j'irai de ce pas. "
       Le lion est puissant, et de mauvaise foi, mais il dompte
       Le pays crédule, il dit sa loi, n'en fait que pour son profit.
       La petite souris se battit vaillamment contre tant de méchanceté,
       Mais les autres animaux, trop couards pour lancer au lion un défi,
       N'allèrent plus se fleurir en sa maison, désertèrent l'atelier.
       Le coeur brisé, la caisse vidée, la petite souris vendit son échoppe.
       Le lion aurait tort de s'en réjouir : bien des révolutions
       Ont jeté à terre de plus puissants que lui, dans un kaléîdoscope
       De fleurs, d'oeillets et autres, dont l'Histoire a gardé le nom.
       Si un grain de sable peut à lui seul gripper la machine,
       Un pétale de fleur pourrait faire chuter l'animal roi,
       Tous les trônes connaissent un jour la ruine,
       Foin de la morale de la fable, les plus forts ne font pas toujours la loi.

 

JicéHem